Courir ou mourir.
J'ai loupé ma foutue dernière année. Adieu ma foutue liberté. Je ne sais pas ce que j'ai glandé.
Quand j'ai été voir les résultats, mon nom n'apparaissait nulle part. Vous n'imaginez pas à quel point c'est frustrant de voir vos projets, vos rêves quasiment concrétisés s'envoler au bout d'une longue liste de noms. Frustrant, c'est même pas le mot. C'est comme si une bombe nucléaire avait éclaté en moi, pulvérisant et dispersant mes morceaux de coeur à l'état de poussière.
Mes potes, par pitié pour moi, ont décidé de pas faire de bringue. Ils ont tous pris le premier moyen de transport le lendemain, non sans m'avoir fait des adieux. Ils pleuraient tous, garçons compris. Austin compris. "
A très vite, vieux, hein?". Je n'ai pas répondu. Je n'ai pas pleuré. Je n'ai rien dit, rien fait. Je les ai vu partir, emmenant au loin des sourires libérés et les promesses d'un avenir qui m'est inconnu.
Je ne saurais dire combien d'heures je suis resté comme ça, le regard sur la mer, dans un état quasi léthargique.
Pendant une semaine, je n'ai rien fait d'autre que fumer, fumer, fumer. Boire deux fois à m'en faire cracher le foie. Et fixer le mur vidé des posters d'Austin.
Mais au bout d'une énième quinte de toux, j'ai paniqué. Impossible de retrouver ma respiration. J'ai du sortir, en haletant comme un chien malade. Cette crise passée, j'ai hurlé à m'en calciné le reste de poumons qui s'accrochait à ma cage thoracique. J'ai pleuré, et tapé sur les murs comme jamais. Je ne saurais dire si c'était la colère, la tristesse, le tout... Ce que je sais, c'est que j'étais mort de trouille de m'être laissé aller comme ça. J'avais besoin de me sentir vivant, de me retrouver, moi, Jael Conley. Parce qu'il n'est pas mort, il n'est pas resté avec ma famille en Nouvelle-Zélande. Il est là, et bordel, il ne faut pas que je l'étouffe.
J'ai jeté mon paquet de clope dans les chiottes, j'ai attrapé un sweat, un jog, et mon casque.
Et me voilà, courant à m'en brûler les poumons sous une flotte pas possible. Je cours, je cours, je cours. Les
musiques de Daughter défilent dans mon casque.
Si je continue à repousser mes limites, je pourrais resurfer. Ne refaire qu'un avec celle qui me connaît le mieux. Réapprendre à la dompter, à me dompter, à nous dompter. La mer est ma drogue, plus forte que la clope.
Je cours, faisant des tours du complexe sportif de l'école. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là.
Je fini par m'arrêter, essoufflé comme jamais. Je repère un carré d'herbe, sous deux arbres. Je m'y étale, couché sur le dos. Tandis que je cherche ma respiration, je sens que je suis vidé. Pas vidé de fatigue. Vidé de tout, de toutes émotions. J'ai l'impression d'être une feuille vierge, douce, au dessus de laquelle stagne un crayon qui hésite à troubler cette virginité parfaite.
Je ne pense à rien, fixant les nombreuses feuilles au dessus de moi. Les nuages s'essorent continuellement, faisant tomber des trombes de gouttes sur mon visage brûlant.
Je suis trempé.